Je reproduis un texte tres fort qui est sur Vigile.net
IDÉES / SELON L’ESSAYISTE BELGE PAUL JORION, LE CAPITALISME EST À L’AGONIE
« L’économie mondiale approche d’un autre 1789 »
Je travaille aujourd’hui sur la guerre civile numérique.
Paul JORION
www.pauljorion.com
jeudi 24 mars 2011
L’ESSENTIEL
● Après avoir été un des premiers à démonter la machine infernale dessubprime, le Belge Paul Jorion juge que le capitalisme agonise...
● Le coeur de la finance a fondu, dit-il.
● Et il n’est pas nécessaire de manifester dans la rue : la révolte peut prendre des formes plus modernes, via les réseaux sociaux.
Le Belge Paul Jorion, celui-là qui avait démonté la mécanique dessubprime avant la crise, a publié cette semaine un nouvel ouvrage incisif (1).
Son constat est dur : le capitalisme est une dysfonction économique. Les capitalistes apportent des capitaux là où on en a besoin mais demande en échange des intérêts, et l’argent, au final, s’accumule dans moins en moins de mains. Mais il faut que les ménages consomment. Donc, on leur octroie du crédit jusqu’au moment où, comme aux Etats- Unis lors de la crise dessubprime, la machine explose.
Le capitalisme a connu bien des crises… Pourquoi celle-ci serait-elle annonciatrice de la fin ?
La différence, c’est la financiarisation de l’économie. En 2007 aux Etats-Unis, 47 % des bénéfices ont été réalisés dans le secteur financier. La finance est devenue à ce point importante qu’elle représente la moitié de l’économie. Or, l’analogie qui me vient avec les événements de ces jours-ci, c’est que le coeur de la finance a fondu. Tout ce qui était au centre du développement de la finance : la titrisation, le développement des produits dérivés, etc. a disparu. Ce coeur s’est effondré, même si, en surface, la coquille est encore là.
D’accord, cette financiarisation a été à l’origine du développement de la finance ces quinze dernières années. Mais ne sommes-nous pas simplement revenus quinze ans en arrière ?
Non. Cet effet de prédation n’est plus possible chez nous, mais il se poursuit ailleurs. La richesse qui existe encore essaie de se placer dans des pays comme la Chine ou l’Inde, et étouffe cette partie de l’économie, car il y a trop d’argent, trop rapidement. Cet argent pompe la richesse de ces pays. Et puis il y a la manière dont on encourage les retraites des Américains. On favorise les bulles. Pour soutenir les marchés boursiers (qui, depuis la chute de l’immobilier, constituent les seules réserves des ménages pour leur retrairetraite) on se met d’accord entre banques d’affaires et autorités pour faire monter les marchés boursiers. On emploie des procédés comme le High Frequency Trading (le fait de passer des milliers d’ordres et de les retirer tout de suite après, en très peu de temps, pour pousser les cours à la hausse, NDLR). On effectue ces manipulations, et un beau jour, cela explose. C’est le mini-krach du 6 mai 2010.
Le capitalisme n’est-il pas assez flexible pour réinventer de nouveaux marchés ?
Maintenant que la titrisation n’est plus là, que la Bourse a chuté d’un tiers, que le marché des produits dérivés a rétréci, cet argent qui est là est trop important. Il y a un trop grand déséquilibre. On se trouve dans des impasses qui sont des contradictions. C’est la « rilance » du ministre français des Finances,Mme Lagarde : oui, il faut faire de la rigueur, et oui, il faut de la relance… Il y a une exacerbation des contradictions. Et ce qui pousse aussi à la destruction, c’est qu’il aurait fallu arrêter un certain type de comportements.
Comme Sarkozy l’avait dit juste après la crise, il fallait redistribuer les profits en trois tiers : un pour les salariés, un pour les investissements, un pour les actionnaires. Mais on s’est rapidement dit qu’un tel partage n’était plus urgent.
Le vernis résiste…
Oui. Mais il y a aujourd’hui débat en France sur les entreprises du CAC 40 qui ont retrouvé leurs résultats d’avant crise mais ne consacre que 2,3 % de ces résultats à des augmentations de salaire, le reste passant en dividende et en rémunération des cadres supérieurs. Cela ne révèle pas une bonne santé, mais la panique au sommet : tout l’argent que l’on peut prendre prenons-le tout de suite. L’augmentation des dividendes est ainsi un signe de mauvaise santé, d’un manque de confiance.
La situation est comparable, dites-vous, moins à celle de 1929 qu’à la Révolution française. Mais je ne vois pas beaucoup de gens marcher sur la Bastille…
Nous approchons en effet d’un autre 1789, mais la révolte peut prendre d’autres formes : Facebook, les réseaux sociaux. Il n’est pas nécessaire qu’un mécontentement de la population se manifeste dans la rue. Regardez la proposition de Cantona, et les débats qu’elle a suscités. Je travaille aujourd’hui sur la guerre civile numérique.
Il y a des exemples étonnants, comme dans le cas de Wiki- Leaks, qui se voit refuser les services de Paypal et Mastercard. Les hackers anonymes font alors des représailles. Une firme offre alors ses services à Bank of America pour attaquer un soutien de WikiLeaks. Les hackers l’apprennent, attaquent la firme et vident sa base de données. Ce n’est pas nécessaire de prendre la Bastille.
Le changement sera aussi culturel. Il s’agit, dites-vous, de délier revenu et travail, ou liberté individuelle et propriété privée.
Nous sommes en effet peut-être à un tournant aussi important que l’a été le passage du paléolithique au néolithique. Il faut un débat de société. Vous savez, je suis anthropologue de formation, et je suis sensible au fait que si nous possédons les choses, les choses aussi nous possèdent. Je raconte dans mon livre l’histoire de cette femme dans une rue d’Amsterdam, qui est animée du même mouvement qu’une particule, passant d’un côté à l’autre de la rue, littéralement captivée par les vitrines.
Nous sommes mûrs pour ce changement ?
Non. Mais on peut lancer le débat. On peut dire qu’il y a des transactions financières utiles, mais d’autres qui ne le sont pas, et qu’il faut non pas taxer, mais interdire purement et simplement. Il faut interdire tous les paris sur les fluctuations de prix. Alors on me dit : vous voulez faire une nouvelle nuit du 4 août (le 4 août 1789, l’assemblée française, comprenant des aristocrates, a décidé d’abolir les privilèges, NDLR), mais il n’y a plus de gens comme ces aristocrates décrétant la fin des privilèges. Je dis si : regardez Warren Buffett, quand il dit qu’il est choqué par le fait que sa secrétaire paie en proportion davantage d’impôts que lui, ou quand il déclare : oui il y a une lutte des classes, et c’est nous qui l’avons gagnée. Il joue le rôle de ces aristocrates. Et il n’est pas le seul. Mervin King (le gouverneur de la Banque d’Angleterre, NDLR) ou Lord Adair (le patron de la FSA, le gendarme financier britannique, NDLR) ont des propos du même ordre. ■
Propos recueillis par
PIERRE-HENRI THOMAS
No de Billet: 211-11-30-52-1
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