mardi 22 février 2011

Les révolutions arabes contre Israël et les Etats-Unis

« Tendances »

Article publié sur le Réseau Voltaire


Israël et l’impasse des Etats-Unis / Les pires cauchemars d’Israël / Hassan Nasrallah appelle la Résistance à se préparer à libérer la Galilée et à venger Imad Moughnié / Michel Aoun met en cause la neutralité du président Sleimane / Saad Hariri est lâché par l’Arabie saoudite / Les régimes arabes « modérés » se protègent grâce aux divisions sectaires et tribales / La révolution s’étend.


22 FÉVRIER 2011

La tendance générale

Israël et l’impasse des Etats-Unis

Les Etats-uniens et les Européens ont lancé ont intense campagne de relations publiques et un série de conférences sur la démocratie à l’adresse de l’opinion publique arabe dans le but d’améliorer leur image après les révolutions tunisienne et égyptienne qui ont renversé deux de leurs principaux amis, Zine al-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, qui ont été pendant des décennies de fidèles serviteurs de Washington et d’Israël. Mais comble de l’ironie, dans le même temps, les Etats-Unis ont opposé leur véto au Conseil de sécurité à un projet de résolution condamnant la poursuite de la colonisation juive dans les territoires palestiniens. En parallèle à ce véto, le président Barack Obama lançait des menaces contre l’Autorité palestinienne si elle insistait à recourir au Conseil de sécurité pour obtenir une résolution dénonçant la colonisation ou réclamant la reconnaissance d’un Etat palestinien, en dépit des concessions illimitée présentées par l’Autorité palestinienne depuis les accords d’Oslo. Le fait que l’empereur de l’Amérique menace une Autorité faible, dont les Israéliens craignent l’évaporation après la chute de Hosni Moubarak, son principal soutien depuis des décennies, est regrettable. Barack Obama, président d’une grande puissance, montre ses muscles devant une Autorité qui craint d’être balayée par la colère populaire pour avoir, justement, appliqué à la lettre pendant des années les instructions des Etats-Unis et d’Israël, sous le parrainage du régime égyptien. Un régime dont les rescapés semblent incapables de s’opposer à la fibre révolutionnaire d’un peuple déterminé à empêcher toute tentative de réanimation de l’ancien système à travers un changement de visages. Par millions, les Egyptiens sont descendus dans la rue, vendredi 18 février, pour réaffirmer leurs revendications, et les principaux slogans scandés par la foule exigeaient la levée du blocus imposé à Gaza.

Tous ces développements montrent qu’Israël reste au cœur des stratégies états-uniennes et occidentales dans la région, Et à chaque fois qu’il est question de l’Etat hébreu, le double langage des Etats-Unis et de l’Europe apparaît au grand jour et il n’est plus question des discours tonitruants sur la démocratie et les droits de l’homme.

La peur pour Israël et la crainte pour le plan de judaïsation de Jérusalem et de la Cisjordanie d’une simple résolution au Conseil de sécurité, et l’utilisation d’une manière excessive des menaces, lèvent le voile sur la véritable politique des Etats-Unis et de l’Occident et font tomber tous les discours sur la prétendue légalité internationale.

Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est utilisé sous l’enseigne de ce slogan car il sert les intérêts d’Israël. Washington, qui tient les fils du TSL au Conseil de sécurité, bloque en revanche la mise en œuvre des résolutions 194, stipulant le retour des réfugiés palestiniens, 242 et 338, appelant au retrait israélien des territoires arabes occupés, ainsi que de nombreuses autres résolutions.

La rue arabe, qui s’est révoltée en Tunisie, en Egypte et dans de nombreux autres pays, adhère pleinement à la culture du refus de l’occupation israélienne de terres arabes depuis 60 ans. Elle adhère encore plus à la culture du soutien à la cause palestinienne. Tant que les Etats-Unis et l’Occident considèreront qu’Israël est la prunelle de leurs yeux qu’il faut protéger à tous prix, et que les pays arabes doivent se plier à cette volonté, toute révolte qui éclatera dans le monde arabe prendra pour cible l’influence politique occidentale. Et les peuples arabes exprimeront un fort soutien aux mouvements de résistance qui ont réussi à proposer un modèle convaincant, alors que des décennies de négociations n’ont rien apporté aux Palestiniens.

Les peuples arabes ont fait preuve d’un grand éveil et ne se laisseront pas amadouer par quelques déclarations de soutien au vent de démocratie qui souffle dans la région. Ils savent que les dictatures qui les ont opprimées pendant des générations étaient soutenues, nourries, armées et chouchoutées par l’Occident et étaient les gardiennes des intérêts d’Israël. Les peuples n’ont pas la mémoire courte et n’oublient rien ! Leur attachement à la cause de la Palestine n’en sera que plus fort.

La tendance au Liban

Les pires cauchemars d’Israël

Les changements stratégiques intervenus dans la région provoquent sans doute les pires cauchemars d’Israël depuis sa création. Alors que le Premier ministre Benyamin Netanyahu savourait ses réalisations politiques après avoir imposé son agenda à l’Administration Obama et à la suite de la mise du Congrès sous la coupe du lobby sioniste, il se retrouve face à la victoire de la révolution égyptienne et de ses conséquences désastreuses sur l’Etat hébreu. Ce bouleversement stratégique est survenu à un moment où Israël n’avait pas encore digéré le changement de cap de la Turquie, l’ascension de la Syrie et de l’Iran en tant que puissances régionales, l’effondrement du gouvernement Hariri au Liban, et son incapacité à empêcher le réarmement du Hamas en dépit du blocus. Un blocus menacé lui aussi d’effondrement après que le peuple égyptien eut ajouté ce slogan à ses revendications. Une pression qui s’est traduite par le fait que le Conseil suprême militaire égyptien a autorisé deux bâtiments de guerre iraniens à traverser le canal de Suez pour se rendre en Syrie. Tous ces changements sont le fruit d’un long processus dont voici les étapes-clé :

- 1. Les victoires des résistances libanaise, en 2006, et palestinienne, en 2009, l’ascension de la Syrie et de l’Iran, l’échec US en Irak, sont autant d’événements qui ont provoqué des changements radicaux dans le contexte stratégique. Analystes et experts israéliens craignent que ces bouleversements ne constituent un danger pour l’existence même d’Israël, surtout que ces défaites et ces échecs ont eu lieu sous la protection de centaines de milliers de GI’s déployés près des frontières syriennes et alors que les Etats-Unis et l’Occident exerçaient toutes sortes de pressions par le biais du Conseil de sécurité, avec la complicité et le soutien parfois direct des Arabes dits « modérés ». La plus grande source d’inquiétude d’Israël vient du fait que tous ses adversaires ont pu former un bloc régional homogène, qui a réussi à briser le blocus imposé aux mouvements de résistance et empêcher l’isolement de chacun des acteurs de ce bloc en prévision de leur liquidation. Les rapports israéliens font état d’une nette amélioration des capacités de dissuasion des mouvements de résistance à Gaza et au Liban en dépit du blocus maritime et terrestre imposé au territoire palestinien et des tentatives états-uniennes d’établir un étau sur le Liban depuis le vote de la résolution 1701. La détermination de la Syrie à poursuivre son soutien aux mouvements de résistance a joué un rôle décisif dans l’établissement des nouveaux rapports de force régionaux.

- 2. Il est clair que la victoire de la révolution égyptienne va jouer un rôle de premier plan dans la redéfinition d’un nouveau contexte régional. Les efforts états-uniens destinés à contourner les effets de la révolte des Egyptiens, au sujet notamment de ses implications sur le conflit israélo-arabe, ont échoué en raison de la détermination du peuple égyptien à voir son pays rejouer un rôle régional central.

- 3. Les rapports des centres de recherche et des stratèges israéliens envisagent l’éventuel effondrement de la monarchie hachémite en Jordanie et de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, suite à la révolution égyptienne. Si le changement en cours en Egypte constitue, aux yeux des Israéliens, un danger réel sur l’équilibre des forces instauré depuis les accords de Camp David, les menaces d’une guerre totale contre l’Iran, la Syrie, le Liban et Gaza tiennent de la plaisanterie. Israël n’a pas les moyens de sortir victorieux d’un tel conflit qui constituera un danger pour son existence et accélèrera le vent de révolte qui souffle sur les régimes arabes pro-US.

- 4. Lors de son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, a jeté de l’huile brûlante sur la tête des dirigeants israéliens en annonçant deux nouvelles décisions stratégiques :
• Riposter à l’assassinat du leader Imad Moughnié est une décision irrévocable qui sera exécutée au moment et à l’endroit choisis par la Résistance. Il a appelé les dirigeants et les généraux à « bien vérifier que leurs têtes sont toujours là ». Juste après le discours de sayyed Hassan, Tel-Aviv a pris la décision de fermer certaines ambassades par crainte d’une attaque-surprise.
• En cas d’invasion terrestre israélienne contre le Liban, les combattants de la Résistance pourraient recevoir l’ordre d’occuper la Galilée et de libérer le nord de la Palestine. Connaissant la crédibilité dont jouit le chef du Hezbollah, les Israéliens savent que ses propos doivent être pris au sérieux, surtout qu’ils savent que les capacités militaires de la Résistance se sont considérablement améliorées quantitativement et qualitativement. Les Israéliens savent que toute attaque pourrait se transformer en guerre totale et que toute percée du Hezbollah en Galilée pourrait s’accompagner d’une offensive syrienne en direction du Golan occupé.

Israël est impuissant et paralysé. Il sait qu’il peut à tout moment être mis au défi si Imad Moughnié est vengé. L’encerclement stratégique de l’Etat hébreu est pratiquement terminé.

Déclarations et prises de positions

Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah
« Ehud Barak a demandé à ses troupes de se tenir prêtes car elles pourraient être amenées à occuper de nouveau le Liban. Moi, je demande aux moujahidin de se tenir prêts car leur commandement pourrait leur demander de libérer la Galilée, si Israël lance une nouvelle attaque contre le Liban. Le Hezbollah n’a toujours pas répondu à l’assassinat du leader Imad Moughnié. Les dirigeants de l’ennemi devraient s’attendre à ce que cela soit fait et ce jour-là, ils ne seront pas à l’abri où qu’ils soient dans le monde. Le nouveau chef d’état-major israélien était le commandant des troupes d’occupation au Sud du Liban et il a donc assisté à la défaite de son armée et de ses agents en 2000. Le Hezbollah fait parti des mouvements de résistance dans la région, qui sont une réponse naturelle aux invasions, aux occupations et aux projets d’hégémonie. Ces mouvements n’ont jamais eu de projet de guerre, ils sont simplement une riposte à une agression et ils défendent leur terre, leurs croyances et leurs populations. Quelle que soit l’issue finale de la révolution égyptienne, celle-ci aura des répercussions sur l’ensemble de la région. L’après-Hosni Moubarak sera différent de la période qui l’a précédée. Il y aura des changements énormes. La première conséquence sera forcément sur Israël, mais aussi sur l’ensemble du système états-unien dans la région, et au Liban en particulier, car Hosni Moubarak a laissé des orphelins en Égypte, en Palestine et au Liban. Ce qui reste du 14-Mars est déterminé à remettre sur le tapis le dossier des armes du Hezbollah. Il n’y a jamais eu une unanimité sur ce sujet. Mais au-delà des armes, c’est la résistance dans son ensemble qui est remise en cause. Votre guerre contre les armes du Hezbollah sera perdante. Si vous voulez continuer à miser sur le TSL, alourdi par les fuites répétées, le dossier des faux témoins, la corruption, les démissions et l’orientation vers une seule piste, et si vous attendez les jugements émis avant même le début de l’enquête, tout en considérant que le contenu attendu de l’acte d’accusation sera la vérité, vous êtres libres. Quant à nous, nous agirons en considérant qu’il s’agit de falsification (…) Le 14-Mars doit bien lire les développements internationaux et régionaux et cesser de monter l’Occident et le monde contre le Premier ministre Najib Mikati. Nul n’ignore les liens de ce mouvement avec Jeffrey Feltman, John Bolton et avec tout le système états-unien dans la région, dont le président égyptien déchu Hosni Moubarak. Vous voulez savoir pourquoi je sens que ce camp est faible ? Parce qu’il ment. Il se ment à lui-même et ment à ses partisans, en disant notamment que le gouvernement que compte former Mikati est celui du Hezbollah. Si c’était le cas, la formation n’aurait pas pris plus de deux jours. Ils savent que ce n’est pas vrai. Ils négocient avec le Premier ministre et savent qu’il leur parle comme il le fait avec le Hezbollah. L’Occident le sait aussi. »

Michel Sleiman, président de la République
« Il y a dans la menace d’Ehud Barak (d’envahir le Liban, ndlr) des intentions cachées de lancer une nouvelle attaque, ce qui constitue une violation flagrante de la résolution 1701. Les propos de Barak s’inscrivent essentiellement dans la volonté de relever le moral de ses troupes et d’encourager le nouveau chef d’état-major israélien. Car Barak sait qu’une agression contre le Liban n’est plus une promenade. La meilleure preuve en est la guerre de 2006 et ses conséquences en Israël même. Si Barak croit pouvoir s’engouffrer dans les tiraillements internes libanais dus à la formation du gouvernement pour exécuter son agression contre le Liban, il se trompe et ses plans se retourneront contre lui, car les Libanais, avec leur armée, leur Résistance et leur peuple, sont prêts à affronter toute agression contre leur pays, sa stabilité et sa sécurité. »

Michel Aoun, principal leader chrétien libanais, allié du Hezbollah
« J’ai pris connaissance du communiqué du bloc parlementaire du Futur. Ses revendications sont impossibles à satisfaire. Il est donc impossible qu’il prenne part au cabinet. Nous avons donné trop de temps pour la formation du gouvernement. Il est temps qu’il voie le jour. C’est le conflit autour du dossier des faux témoins qui a fait chuter l’ancien gouvernement. Nous ne pouvons pas permettre que la nouvelle équipe subisse le même sort pour les mêmes raisons. Nous sommes disposés à accorder le tiers des sièges ministériels à la partie adverse si elle se conforme au programme politique de la nouvelle majorité. Il faut qu’il y ait un minimum d’harmonie entre les parties qui composent une équipe ministérielle. Le 14-Mars doit reconnaître qu’il est devenu une minorité. Dans un gouvernement de 30, je dois être représenté par 12 ministres et par 10 ministres dans un gouvernement de 24, sur base de ma représentation parlementaire. Les portefeuilles de la Défense, des Finances, de l’Intérieur doivent nous être impartis du moment qu’ils avaient à leur tête des chrétiens. La répartition communautaire des ministères doit rester la même. Le Premier ministre désigné peut nommer tous les ministres sunnites et peut les choisir parmi des personnalités de l’opposition sunnite à Tripoli, à Saïda, à Beyrouth et dans la Békaa-Ouest. Saad Hariri est fini. Il est sorti du gouvernement avec un aller simple pour l’Arabie saoudite ou la destination de son choix. Les dossiers financiers et de la corruption sont trop importants pour qu’il puisse revenir (…) Le prochain gouvernement doit abroger le protocole d’entente entre le Liban et l’Onu au sujet du Tribunal spécial pour le Liban. Il n’est certes pas possible de supprimer le TSL, mais nous ne coopérerons pas avec lui. Nous ne pouvons pas continuer d’alimenter un tribunal qui ne permet pas de réaliser la justice à cause du manque de transparence de ses actions. Le président Michel Sleiman s’est tenu du côté de la majorité et n’a pas fait montre de neutralité durant les votes en Conseil des ministres ou lors des élections à Jbeil et dans le Kesrouan. Il composait des listes contre nous et convoquait les candidats. Tout le monde est au courant de cela. Si le chef de l’État doit être représenté par des ministres au gouvernement, il faut que cela soit prévu dans la Constitution. Je ne lui céderai aucun ministre de ma part. »

Saad Hariri, Premier ministre libanais sortant
« À un moment donné, j’ai été très soucieux de mettre la question des armes (du Hezbollah, ndlr) sur la table de dialogue et j’arrondissais les angles. Mais aujourd’hui, je considère que le retour à la politique des angles arrondis n’est pas dans l’intérêt national. Il y a un problème dans le pays qui doit être traité avec beaucoup de franchise et d’honnêteté, et nous ne devons pas nous enfouir la tête dans le sable, surtout quand ces armes deviennent un moyen de faire pression sur la vie politique. Cette situation est inacceptable, parce que nous ne pouvons pas construire un État de cette manière. Le pays a une armée, une autorité et un État qui devraient rassembler tous les citoyens autour de lui. Et après toutes les expériences amères subies par le Liban, certains se trompent en disant que nous tentons de contourner les armes de la Résistance, parce que la vérité est très différente. Notre priorité est qu’aucune arme d’aucune partie ne soit un moyen de s’en prendre à la paix civile et au système démocratique. Nos alliés et nous au sein du 14-Mars sommes d’accord sur la même ligne. Nous nous rassemblerons le 14-Mars 2011 comme nous l’avons fait le 14 mars 2005. Ce sera un jour décisif dans l’histoire du Liban (…) Nous ne voulons pas que l’on nous dise que le tribunal international est israélien, ce tribunal n’est ni israélien ni américain. Les gens doivent connaître la vérité et savoir qui a assassiné non seulement Rafic Hariri, mais tous les martyrs tombés depuis six ans. »

Samir Geagea, chef chrétien allié de Saad Hariri
« Si les exactions perpétrées par l’autorité de tutelle (la Syrie Ndlr.) ont mené à la révolution du Cèdre, alors il faut savoir que le seul fait de voir poindre l’autorité de tutelle une nouvelle fois donnera lieu à des révolutions du Cèdre sans fin, jusqu’à l’extraction totale de la maladie. Nous nous sommes libérés du fardeau du pouvoir, nous pouvons désormais vivre selon nos convictions, nos principes, en toute liberté et aspirer à les traduire de toutes nos forces. Aujourd’hui, plus que n’importe quel autre moment, c’est le Liban d’abord, le Liban qui doit primer, pour que l’État libanais puisse voir le jour, un État effectif, au pouvoir unique, avec une armée unique en application des résolutions 1559, 1680, 1701 et 1757, un État clairement déterminé dans ses frontières et de manière définitive. Les détenus et les disparus dans les prisons syriennes, c’est maintenant, la justice sociale, c’est maintenant, et tout ce en quoi nous croyons pour améliorer et faire évoluer la vie des citoyens. Maintenant, surtout maintenant, la guerre sur la corruption, maintenant que les diables de la corruption de l’étape précédente sont de retour. Le Tribunal spécial pour le Liban est une réalisation historique pour le peuple de la révolution du Cèdre, et le fruit d’une lutte de trente ans, contre l’occupation, la répression, le meurtre, l’assassinat et la soumission. Nous n’allons pas accepter que le tribunal soit sacrifié ou que son existence soit menacée. »

Nabih Berry, président du Parlement
« L’accord avec le TSL s’est fait d’une façon non constitutionnelle. Le président de la République n’a pas signé cet accord et ne l’a pas soumis à la Chambre. Le TSL est non constitutionnel et contraire au Pacte national. L’enquête menée par le tribunal est politisée et a misé sur les faux témoins et la fabrication de scénarios. Nous avons affirmé à plusieurs reprises lors de la conférence de dialogue que nous sommes avec le tribunal qui devrait laisser la vérité éclater au grand jour et non fabriquer ou falsifier la vérité. »

Presse

Al Akhbar (Quotidien libanais proche de la nouvelle majorité, 18 février 2011)
Nicolas Nassif
Le Premier ministre désigné Najib Mikati reste optimiste, et ne ferme pas la porte au dialogue avec l’autre camp, bien qu’il soit sûr qu’il va présider un gouvernement monochrome. Il sent qu’il n’est pas obligé de fixer une date à la naissance du gouvernement avant d’avoir épuisé tous les efforts et tous les contacts à cette fin.
Les ministres proches de lui, du président de la République et du député Walid Joumblatt sont considérés comme consensuels, et doivent garantir l’équilibre du gouvernement afin qu’aucune partie ne l’emporte sur l’autre. Ce qui peut être une référence à l’octroi à ces ministres du tiers+1. Ce qui revient également à dire que les ministres du 8-Mars n’obtiendront pas les deux tiers des sièges ministériels comme ils le souhaitent…
Mikati est aussi convaincu qu’aucune partie libanaise ne peut gouverner toute seule ou monopoliser le pouvoir. Et quelles que soient les difficultés, il n’a pas l’intention de renoncer à former le gouvernement. Dans le même temps, il s’attache à maintenir le dialogue avec tous, bien qu’il semble sûr que les forces du 14-Mars ne participeront pas à son gouvernement.
Mis à part le seul engagement qu’il a fait au Hezbollah concernant la protection de la Résistance, Mikati s’estime libéré de toute contrainte. Il n’a d’ailleurs fait aucune promesse aux forces du 8-Mars au sujet du TSL.

An Nahar (Quotidien libanais proche du 14-Mars, 18 février 2011)
Sarkis Naoum
Des informations en provenance de Washington indiquent que l’administration Obama a fait savoir au Premier ministre désigné Najib Mikati qu’elle n’avait rien contre lui personnellement en tant que chef du futur gouvernement mais qu’elle préférerait un cabinet à son image, composé de personnalités modérées, centristes, disposées à œuvrer pour colmater la brèche entre le 8-Mars et le 14-Mars. L’administration états-unienne aurait également défini les lignes rouges à ne pas franchir : elles concernent essentiellement le TSL et les engagements internationaux du Liban.
La Syrie, qui gère la crise gouvernementale au Liban, a laissé le Premier ministre désigné, le 8-Mars et le 14-Mars essayer toutes les recettes et n’a rien proposé elle-même, bien qu’elle maintienne les concertations avec ses alliés au Liban. Elle compte d’ailleurs continuer à suivre la même approche en attendant l’un des deux scénarios suivants : le 8-Mars conduit par le Hezbollah, et son allié Najib Mikati, parviennent à une impasse, et se tournent vers Damas ; les Etats-Unis parviennent à la conviction que c’est la Syrie et non le Hezbollah, qui représente la référence, le guide, ou le tuteur du nouveau gouvernement.

An Nahar (17 février 2011)
Une cinquantaine de dignitaires religieux sunnites a considéré que Dar el-Fatwa a perdu son rôle religieux et politique et a appelé le mufti de la République, cheikh Mohammed Kabbani, à démissionner, avant de mettre en garde contre toute obstruction des efforts du président Najib Mikati. Les cheikhs réunis dans un hôtel à Bir Hassan ont souligné que leur position claire de ne pas traiter avec le TSL ne revient pas à renoncer à la vérité et à la justice, mais plutôt à rectifier le parcours de la justice et à rechercher la vérité. Ils ont également appelé l’ancien Premier ministre Fouad Siniora à honorer ses engagements et à rendre l’argent volé aux caisses de Dar el-Fatwa par des proches du mufti Kabbani.

Magazine (Hebdomadaire libanais francophone indépendant, 18 février 2011)
Paul Khalifeh
Le haririsme ne vit pas, aujourd’hui, ses meilleurs moments. Une série d’événements locaux et régionaux montre que le Moustaqbal (Courant du Futur Ndlr.) traverse une grave crise et se trouve, actuellement, sur une courbe descendante. Une brèche s’est ouverte dans la question de la représentation sunnite, permettant à Najib Mikati de s’y engouffrer pour disputer à Saad Hariri le titre de « premier sunnite du Liban. » Cette brèche n’est pas apparue fortuitement. Elle est le résultat d’une conviction saoudienne de la nécessité de revenir à une plus grande diversité au niveau de la représentation sunnite, après une quasi-exclusivité exercée par la famille Hariri pendant près de 20 ans (…) Il existe des indices montrant que Najib Mikati ne mène pas son combat sans appui régional. Chose inimaginable il y a quelques semaines, des journaux saoudiens n’hésitent plus à critiquer Saad Hariri et à défendre son successeur. Pas plus tard que le 15 février, Daoud al-Charyane, un journaliste proche du roi Abdallah, écrivait dans al-Hayat : « Certains discours du 14-Mars ne sont pas dignes de la politique. Ils affirment qu’en acceptant sa désignation, Mikati trompe son milieu communautaire. Comme si la présidence du Conseil au Liban était l’exclusivité d’un homme ou d’un courant et celui qui la convoite devient kidnappeur ou traitre. Le plus grave c’est que Dar el-Fatwa joue un rôle politique qui ne fait pas traditionnellement partie de ses compétences. » Un peu plus loin on peut lire : « Le contexte régional a changé (…) La sagesse appelle à la participation (du 14-Mars au gouvernement, ndlr.) et à la stabilisation du Liban en attendant les résultats du tribunal. Le fait que le Courant du futur insiste à passer à l’opposition sans protecteur régional présage que la scène libanaise sera le théâtre de tensions. » Déjà, le 25 janvier, les milieux saoudiens avaient lancé un signal fort à l’adresse des Libanais. Le site Internet Elaph.com, proche du pouvoir, publiait un « sondage » effectué auprès de 150 personnalités saoudiennes dont des membres du Conseil consultatif, des universitaires, des chercheurs et des journalistes. Les sondés étaient invités à répondre à trois questions, la plus importantes étant la suivante : Pensez-vous que Saad Hariri représente à lui seul les sunnites au Liban ? Dans son commentaire du sondage, l’auteur écrit : « Le plus surprenant a été de constater une quasi-unanimité autour du fait que Saad Hariri n’est pas le seul représentant des sunnites au Liban. Parmi les personnes interrogées, beaucoup ne le considèrent même pas comme un leader sunnite. »

Al Hayat (Quotidien saoudien, 18 février 2011)
Des sources haut placées de la nouvelle majorité au Liban ont relevé l’ampleur des dégâts politiques essuyés par cette majorité en raison de la « bombe » déclenchée par le général Michel Aoun, dont les éclats ont atteint le président de la République Michel Sleiman et le Premier ministre désigné Najib Mikati. D’autant plus qu’Aoun s’est érigé en seul maître à bord en ce qui concerne la composition, le programme, l’agenda et la déclaration ministérielle du futur gouvernement. Selon ces sources, le président Sleiman est fortement agacé par les dernières déclarations de Michel Aoun, et a rappelé son attachement plein et entier à ses prérogatives. L’opposition à toute représentation du chef de l’Etat au sein du prochain gouvernement est rejetée par le président Mikati ainsi que par des figures de proue de la nouvelle majorité. Le Hezbollah, principal allié du général Aoun, aurait été surpris par les conditions extrêmes de son allié concernant sa participation au gouvernement, et que le mouvement Amal n’a pas vu d’un bon œil de telles conditions. Le Hezbollah chercherait à assouplir la position du chef du CPL pour parvenir à un compromis hâtant la mise en place du gouvernement.

Al Moustaqbal (Quotidien appartenant à la famille Hariri, 17 février 2011)
Rouba Kabbara
Des sources qui suivent les tractations de la formation du gouvernement prédisent un retard pour des raisons aussi bien intérieures qu’extérieures. La plus importante raison intérieure est liée à la volonté du Premier ministre désigné Najib Mikati d’éviter un gouvernement monochrome. Parmi les raisons extérieures, par contre, on trouve en particulier le peu d’empressement syrien à voir se mettre en place un gouvernement qui exclut le camp du 14-Mars, en attendant de connaître les répercussions du renversement du régime de Hosni Moubarak et la suite des événements au Bahreïn, en Libye, en Jordanie ou au Yémen, ajoutent les mêmes sources.

As Safir (Quotidien libanais proche de la nouvelle majorité, 15 février 2011)
Le 14 février 2011, un camp politique libanais a célébré l’assassinat de Rafic Hariri sans se poser un minimum de questions, après six années de revers à la chaîne :
Pourquoi Michel Aoun s’est-il dissocié du 14-Mars ? Pourquoi Walid Joumblatt en a-t-il fait de même ? Pourquoi Nassib Lahoud et Mohammad Safadi ont-il décidé de se démarquer du 14-Mars ? Plus important encore : pourquoi le grand public libanais, qui n’appartenait pas aux partis politiques du 14-Mars, a-t-il pris ses distances ?
Où Saad Hariri amène-t-il son public ? Là où le souhaite Samir Geagea, assassin de Rachid Karamé, ou Amine Gemayel, qui est allé au BIEL en laissant son cœur chez Mikati ?
Voilà donc Saad Hariri qui renouvelle son départ politique à partir du point par où il avait commencé il y a 6 ans, en reconnaissant pour la première fois qu’il était inexpérimenté et que sa performance a été entachée d’une bonne dose d’immaturité.
Concrètement, il est possible de dire que Hariri a cessé de reconnaître la déclaration ministérielle de son gouvernement pour ce qui concerne l’équation armée-peuple-résistance. Il a annulé le rôle du dialogue national concernant la stratégie de défense, en érigeant la nécessité de faire face aux armes en priorité. Hariri a ainsi confirmé son passage à l’opposition, en comptant sur l’artillerie oratoire de Samir Geagea, dirigée exclusivement cette fois-ci contre Damas, l’Iran et le Hezbollah.
Par ailleurs, en donnant une image approximative de l’acte d’accusation du TSL, Hariri semblait en connaître le contenu. Il ne s’est pas rendu compte qu’il contredisait ainsi des déclarations qu’il avait faites précédemment lorsqu’il a riposté au Secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, en assurant qu’il ne lui avait pas communiqué le contenu de l’acte d’accusation en mai 2009 et ne lui a pas dit que des individus seront montrés du doigt et qu’il compte déclarer publiquement que ceci ne revient pas à accuser toute une communauté religieuse ou tout un parti politique ! Hier, il a donc dit ce qu’il avait nié à un certain moment : « Ce tribunal accusera des individus et ne le fera pas au hasard. »

New York Times (Quotidien états-unien, 14 février 2011)
Six années après avoir été assassiné, Rafic Hariri a laissé un héritage qui semble se dégrader alors que le Liban se déchire concernant l’enquête sur le meurtre de l’ancien Premier ministre. Selon Assaad Abou Khalil, professeur à la California State University, le camp du Premier ministre libanais sortant, Saad Hariri, a « ’subi un certain nombre de revers ». « ’Il serait cependant trop tôt pour déclarer sa mort car les facteurs qui ont donné naissance au mouvement du 14-Mars existent toujours », explique le professeur.
Mais aujourd’hui, la donne a changé pour Hariri et ses alliés pro-occidentaux. « Six ans plus tard, les choses s’annoncent plutôt sombre pour la coalition formée après l’assassinat de Rafic Hariri », explique-t-il. « Le fossé le plus profond au sein de la société libanaise de ces dernières années concerne le tribunal. Les forces opposées au Tribunal ont réussi à miner sa crédibilité ». « Pendant longtemps, bataille a été menée sur la perception de l’opinion publique libanaise de la crédibilité et de la légitimité du tribunal. Je pense que sur ce terrain, le Hezbollah a été très habile. »

Asia Times (Journal online asiatique, 14 février 2011)
Sami Moubayyed
Le premier ministre Najib Mikati a probablement accueilli avec soulagement la révolte égyptienne. Pas pour des raisons géostratégiques, mais tout simplement pratiques. Elle lui a permis de travailler sous une moindre pression à la formation de son gouvernement.
Aujourd’hui, les Libanais se rendent compte que la seule chose de commun entre Hariri, Moubarak, l’ex-président tunisien Ben Ali et l’ex-Premier ministre jordanien Samir al-Rifaï, est leur soutien à la politique étrangère des Etats-Unis qui, en retour, renforçait leur pouvoir. Privé de ses alliés égyptiens et saoudiens, qui lui reprochent d’avoir torpille l’initiative syro-saoudienne, Hariri s’apprête à vivre une difficile année 2011. Chef de file d’une dynastie au pouvoir depuis 20 ans, il est aujourd’hui à la tête d’un mouvement éjecté du pouvoir et à bout de souffle.

The National (Quotidien australien, 14 février 2011)
Les réalisations de la Révolution du Cèdre semblent limitées. Il est a ce propos troublant de constater la foule qui a envahi la place des Martyrs en 2005 ressemble terriblement a celle qui a occupé la place Tahrir. Cette solidarité et cet enthousiasme qui transpire au Caire ont aussi transpiré à Beyrouth. L’armée syrienne a quitté le pays, mais en laissant le champ libre a un Hezbollah encore plus puissant. L’armée syrienne a quitté le pays, mais il est toujours plongé dans son instabilité chronique. L’armée syrienne a quitté le pays, mais il est toujours aussi vulnérable, sinon plus, aux interférences étrangères. Aujourd’hui, le nouveau premier ministre Najib Mikati semble bénéficier d’un large soutien. Le décrédibiliser dès à présent serait prématuré car le voici les mains dans le cambouis.

Corriere della Sera (Quotidien italien, 14 février 2011)
Des sources policières révèlent qu’un jeune Palestinien lié à un groupe islamiste sunnite du Liban, inspiré idéologiquement par Al-Qaïda, a été arrêté en Grèce. Ghaleb Taleb a été interpellé à Athènes et sera expulsé pour entrée illégale sur le territoire grec après son interrogatoire sur les moyens détournés qu’il a utilisés pour y arriver. Ce Palestinien serait un membre du groupe extrémiste sunnite Fatah al-Islam. Il est arrivé clandestinement il y a des mois en Grèce pour préparer des attentats en Europe. Un autre membre présumé du Fatah al-Islam, Mohammed Musa, se trouve aux mains des autorités grecques depuis des mois et va être lui aussi expulsé pour entrée illégale en Grèce.

La tendance dans le monde arabe

Les régimes se protègent grâce aux divisions sectaires et tribales

L’attention de l’opinion publique arabe se focalise sur les révoltes qui secouent le Yémen, Bahreïn, la Jordanie et la Libye pour réclamer des changements politiques et économiques. Alors que ces mouvements de protestations, qui ont fait des centaines de morts et de blessés, se poursuivent, on peut d’ores et déjà faire les observations suivantes :

- 1. Manifestement, les régimes arabes sont déterminés à réprimer férocement les protestataires avec l’appui des Etats-Unis. L’affaire s’est transformée en scandale à Bahreïn, où les autorités ont utilisé des mercenaires étrangers, encadrés par des officiers de services de renseignement britanniques et états-uniens pour protéger un régime chargé de gérer une importante base militaire considérée comme essentielle face à l’Iran.
L’histoire nous apprend qu’elle ne se répète pas systématiquement. Les derniers événements révèlent des divisions verticales dans les sociétés arabes et une tendance chez les régimes à exploiter ces divergences pour se protéger contre le vent de changement, quitte à provoquer des conflits et des guerres civiles entre des groupes sectaires et tribaux qui leur sont hostiles ou favorables.

- 2. Ces réalités mettent à nu les faiblesses et les carences des mouvements politiques arabes et leur incapacité à surmonter les divisions sociales traditionnelles. Ces mouvements vont se retrouver face à des défis intellectuels, politiques et de nature organisationnelle. Certains ne pourront pas dépasser les clivages sectaires et tribaux pour initier un véritable changement politique. D’autres, comme le « Mouvement sudiste » au Yémen, luttent pour la sécession afin de gouverner un mini-Etat.
En dépit de ces obstacles que les régimes exploiteront pour rester en place et éviter le même sort que les régimes tunisien et égyptien, la détermination des mouvements de protestation se soldera nécessairement par l’apparition de nouvelles réalités qui obligeront les régimes à faire des compromis, comme cela sera probablement le cas en Algérie, où le régime s’entoure d’une base sociale relativement large et évolue d’une manière relativement indépendante de l’Occident. L’existence de grandes ressources dans ce pays facilitera des politiques de développement couplée à des concessions politiques. En Libye, Moammar Kadhafi a choisi, contrairement à Abdel Aziz Bouteflika, de s’ouvrir sur l’Occident, alors que le président algérien s’est opposé à l’occupation de l’Irak, en 2003, prenant des positions proches de celles de la Syrie.

- 3. L’évolution de la situation laisse penser que le monde arabe n’est pas à la veille de changements dramatiques qui vont renverser tous les régimes en l’espace d’un mois, conformément à l’effet domino, comme l’ont prévu des analyses naïves parues dans la presse occidentale. Il est cependant certain que les peuples arabes ont retrouvé leur âme et ont repris l’initiative, sous l’impulsion d’une jeunesse qui aspire à la liberté, à la justice sociale et à la dignité nationale.

Evénement

Libye
Des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées dimanche à Benghazi, deuxième ville de Libye, pour enterrer les manifestants tués par les forces de sécurité. Les violences de la nuit de samedi à dimanche ont porté à 173 le nombre de personnes tuées en quatre jours d’affrontements, centrés sur Benghazi et les villes avoisinantes, selon un bilan établi par l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), dont le siège est à New York. « Cent mille manifestants se rendent actuellement au cimetière pour les obsèques de dizaines de martyrs. Nous craignons un nouveau massacre car la route menant au cimetière est proche des casernes des forces de sécurité », a dit à Reuters un habitant de la capitale de la Cyrénaïque. « Nous ne céderons pas tant que le régime ne sera pas tombé. Nous appelons les Nations unies à intervenir tout de suite pour arrêter ce massacre », a dit cet homme. Un autre témoin a indiqué à Reuters que des centaines de milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, s’étaient réunies pour prier devant 60 corps, exposés près d’un tribunal du nord de Benghazi, qui compte 700 000 habitants. « Un massacre a été commis ici hier soir », a déclaré dimanche un habitant qui a requis l’anonymat. Les forces de sécurité ont eu recours à des armes lourdes et, a-t-il ajouté, « nombre de soldats et de policiers sont passés dans le camp des manifestants ». Il semble que les rues de Benghazi soient sous le contrôle des manifestants et que les forces de sécurité se soient retranchées dans un complexe appelé le « Centre de commandement », d’où elles ont tiré sur la foule. Un chef de tribu qui a requis l’anonymat a lui aussi laissé entendre que les forces de sécurité étaient confinées dans ce centre de commandement. « Il n’y a plus aucune présence des autorités dans la ville, les forces de sécurité sont retranchées dans leurs casernes et la ville est dans un état de mutinerie civile », a-t-il dit à Reuters. La répression sanglante a poussé une cinquantaine de dignitaires musulmans à publier un appel, envoyé à Reuters, qui exhorte les membres des forces de sécurité, en tant que musulmans, à mettre un terme au massacre. A Tripoli, plusieurs milliers de partisans du régime se sont rassemblés sur la place Verte, près de la médina, aux premières heures de la matinée de dimanche, a constaté un journaliste de Reuters. « Dieu, Libye et Mouammar ! », ont-ils scandé, ou encore : « Mouammar est le pionnier du nationalisme arabe ! »

Bahreïn
Un haut responsable de l’opposition bahreïnie, Abdel Jalil Khalil Ibrahim, a exigé la démission du gouvernement et le retrait des forces armées des rues de Manama pour répondre à l’offre de dialogue faite par le prince héritier de Bahreïn. « Pour envisager le dialogue, le gouvernement doit démissionner et l’armée doit se retirer des rues » de la capitale, a déclaré M. Ibrahim, chef du bloc parlementaire du Wefaq, le principal groupe de l’opposition. « Nous n’assistons pas à un langage de dialogue mais à celui des armes », a-t-il ajouté, en évoquant les tirs de l’armée vendredi soir contre des manifestants, qui ont fait 95 blessés. Ces tirs étaient survenus alors que le prince héritier, Salman Ben Hamad Al-Khalifa, s’exprimait à la télévision d’Etat pour promettre un dialogue avec l’opposition une fois le calme revenu. Le roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa a aussitôt chargé son fils, de mener un « dialogue avec les parties et communautés sans exception ».

Yémen
Au Yémen, des heurts entre opposants et partisans du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans et allié des Etats-Unis, ont tourné à la bataille rangée samedi dans la capitale, Sanaa. Dimanche, une cinquantaine de militants favorables au régime ont attaqué un rassemblement d’un millier d’opposants qui scandaient « Dégage, Ali ! » devant l’université de la capitale. L’un des partisans de Saleh a ouvert le feu avec un fusil d’assaut mais on ne fait pas état de victimes. Samedi déjà, les partisans du régime ont tenté de prendre d’assaut le campus de l’université. « Le peuple veut la chute du régime », scandaient les étudiants. Un journaliste de l’AFP a vu un étudiant s’effondrer, atteint d’une balle au cou et noyé dans son sang.
A Aden, dans le Sud, les protestations ont continué après une nuit d’émeutes. Un adolescent a été tué par une balle perdue, selon une source hospitalière. Trois personnes ont été blessées, dont deux filles de 9 et 11 ans, quand la police a ouvert le feu pour disperser un rassemblement de plusieurs centaines de personnes, selon des témoins et des sources médicales. Douze personnes ont été tuées au Yemen, dont 10 à Aden, depuis le début de la semaine.

Maroc
Plusieurs milliers de Marocains ont manifesté dimanche à Casablanca et Rabat pour réclamer des réformes politiques et une limitation des pouvoirs du roi, premier mouvement de ce type dans le pays depuis le début des révoltes qui secouent le monde arabe. Des banderoles proclamaient : « Le roi doit régner et non gouverner » ou « Le peuple veut une nouvelle Constitution », tandis que des groupes de gauche demandaient « moins de pouvoirs à la monarchie ». Aucun incident n’avait été signalé dans les deux villes en fin de matinée. Dans la foulée des événements de Tunisie et d’Egypte, de jeunes Marocains avaient lancé sur Facebook le mouvement « du 20-Février », appelant à manifester pacifiquement pour réclamer une nouvelle Constitution limitant les pouvoirs du roi et plus de justice sociale. L’appel a rapidement rassemblé des milliers de sympathisants. Il a été appuyé par des ONG comme l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et des journalistes indépendants. L’organisation de la jeunesse du mouvement islamiste Justice et bienfaisance a appelé elle aussi à manifester « pacifiquement » dimanche. Les principaux partis politiques marocains dont l’Istiqlal (du Premier ministre Abbas el-Fasi) se sont en revanche prononcés contre l’appel.

Algérie
En Algérie, des centaines de personnes ont tenté de se rassembler dans la capitale aux cris de « Algérie libre et démocratique », « Pouvoir assassin », « Le peuple veut la chute du régime », et ont été repoussées par d’importantes forces de sécurité. Une dizaine de manifestants ont été blessés, dont deux grièvement, selon la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). S’il n’était pas clair, la position du gouvernement a été rendue publique une fois de plus dimanche. « L’effet domino est une invention des médias y compris les médias algériens qui sont très libres. Je ne crois pas que cela s’applique à l’Algérie. L’Algérie n’est pas l’Egypte ou la Tunisie », a déclaré un ministre algérien dans cette interview à El Pais.
Un député du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Tahar Besbas, a été grièvement blessé par la police, selon des membres de son parti.

lundi 7 février 2011

Ce n’est pas l’Islam radical qui préoccupe les Etats-Unis, mais l’indépendance.

Écho du site “Le Grand Soir” – Journal internet non- aligné

Noam CHOMSKY

La nature des régimes qu’ils soutiennent dans le monde arabe importe moins que leur contrôle. Les sujets sont ignorés jusqu’à ce qu’ils brisent leurs chaînes.

« Le monde arabe est en feu » annonçait al-Jazeera la semaine dernière, alors que partout dans la région, les alliés occidentaux « perdent rapidement leur influence ». L’onde de choc fut déclenché par le soulèvement en Tunisie qui renversa le dictateur soutenu par l’Occident, avec des réverbérations surtout en Egypte, où les manifestants ont submergé la police brutale du dictateur.

Certains observateurs ont comparé l’événement aux renversements des régimes du camp soviétique en 1989, mais les différences sont importantes. La plus importante est qu’il n’y a aucun Mikhail Gorbachev parmi les grandes puissances qui soutiennent les dictateurs arabes. Washington et ses alliés s’en tiennent au principe bien établi que la démocratie est acceptable à condition qu’elle soit conforme aux objectifs stratégiques et économiques : excellente en territoire ennemi (jusqu’à un certain point) mais à éviter dans nos chasses gardées sauf si elle est correctement contrôlée.

La comparaison avec 1989 est cependant valable dans un cas : la Roumanie, où Washington soutenait Nicolae Ceausescu, le plus brutal des dictateurs de l’Europe de l’est, jusqu’à ce que ce dernier devienne incontrôlable. Washington a ensuite salué son renversement tout en oubliant le passé. Le scénario est classique : Ferdinand Marco, Jean-Claude Duvalier, Chun Doo-hwan, Suharto et de nombreux autres gangsters utiles. Cela pourrait être aussi le cas avec Hosni Moubarak, tout en déployant les efforts habituels pour s’assurer que le régime qui succède ne s’éloigne pas trop d’un chemin tracé. Les espoirs semblent s’orienter vers le général Omar Suleiman, un fidèle de Moubarak, qui vient d’être nommé vice-président. Suleiman, qui a longtemps dirigé les services de renseignement, est détesté par le peuple en révolte presque autant que le dictateur lui-même.

Un refrain souvent entendu est que le risque posé par l’islamisme radical oblige à s’opposer (à contre-coeur) à la démocratie et ce pour des raisons pragmatiques. Si la formule mérite considération, elle est néanmoins trompeuse. La vraie menace est l’indépendance. Les Etats-Unis et leurs alliés ont régulièrement soutenu des islamistes radicaux, parfois pour éliminer la menace d’un nationalisme laïque.

Un exemple connu est celui de l’Arabie Saoudite, le centre idéologique de l’Islam radical (et du terrorisme islamiste). Un autre sur la longue liste est Zia ul-Haq, le plus brutal des dictateurs pakistanais et le préféré du Président Reagan, qui a mené un programme d’islamisation radical (financé par les Saoudiens).

« L’argument habituel constamment avancé dans le monde arabe et à l’extérieur est que tout va bien, que tout est sous contrôle, » dit Marwan Muasher, un ancien officiel Jordanien et actuellement directeur du centre d’études Middle East research for the Carnegie Endowment. « En suivant ce raisonnement, les forces retranchées rétorquent que les opposants et ceux à l’étranger qui exigent des réformes exagèrent la situation à l’intérieur. »

On peut ignorer l’opinion publique. Cette doctrine ne date pas d’hier et elle a été généralisée au monde entier, y compris à l’intérieur des Etats-Unis. Lorsque des troubles se produisent, quelques ajustements tactiques peuvent se révéler nécessaires, mais toujours avec l’idée de garder le contrôle.

Le mouvement démocratique en Tunisie était dirigé contre « un état policier, avec peu de liberté d’expression ou d’association, et de graves atteintes aux droits de l’homme », dirigé par un dictateur dont la famille était détestée pour sa vénalité. Ainsi s’exprimait Robert Godec, ambassadeur des Etats-Unis, dans un câble daté de juillet 2009 et diffusé par Wikileaks.

Ainsi, selon certains observateurs, « les documents (de Wikileaks) devraient rassurer l’opinion publique américaine que les dirigeants (US) sont effectivement conscients et qu’ils agissent » - et même que les câbles confirment tellement la politique des Etats-Unis que c’est à se demander si ce n’est pas Obama lui-même qui organise les fuites (selon Jacob Heilbrunn dans The National Interest ).

« L’Amérique devrait donner une médaille à Assange, » peut-on lire dans un titre du Financial Times, dans un article où Gideon Rachman écrit : « la politique étrangère des Etats-Unis apparaît comme éthique, intelligente et pragmatique... la position publique des Etats-Unis sur un sujet donné correspond en général aux positions privées. »

De ce point de vue, Wikileaks coupe l’herbe sous les pieds des « théoriciens du complot » qui émettent des doutes sur la noblesse des motivations proclamées par Washington.

Le câble de Godec confirme cette idée – à condition de ne pas creuser plus loin. Dans ce cas, comme l’analyste de la politique internationale Stephen Zunes l’a indiqué dans Foreign Policy in Focus, on découvre aussi, à-coté du câble de Godec, que Washington a fourni 12 millions de dollars d’aide militaire à la Tunisie. On découvre que la Tunisie était l’un des cinq bénéficiaires : Israël (de manière constante) ; deux dictatures du Moyen-orient, l’Egypte et la Jordanie ; et la Colombie qui détient le record en matière d’atteintes aux droits de l’homme et qui est aussi le premier bénéficiaire de l’aide militaire US sur le continent (américain - NdT).

La première pièce à conviction présentée par Heilbrunn est le soutien arabe à la politique des Etats-Unis contre l’Iran, révélé par les câbles. Rachman lui-aussi se saisit de cet exemple, à l’instar de la plupart des médias, tout en louant ces révélations encourageantes. Toutes ces réactions montrent à quel point la démocratie est méprisée dans les milieux éduqués. [selon Chomksy, ce sont les milieux "éduqués", ceux qui passent par le formattage du système éducatif, qui deviennent les piliers du système - NdT]

Aucune mention n’est faite de ce que pense la population – chose facile à vérifier. Selon un sondage deBrookings Institution rendu public au mois d’août, certains Arabes sont effectivement d’accord avec Washington et les commentateurs occidentaux pour qui l’Iran représente une menace : ils sont 10%. Par contraste, les Arabes qui considèrent que ce sont les Etats-Unis et Israël qui représentent la plus grande menace sont, respectivement, 77% et 88%.

L’opinion publique arabe est si hostile à la politique américaine qu’une majorité (57%) pensent que la sécurité régionale serait renforcée si l’Iran se dotait d’armes nucléaires. Néanmoins, « tout va bien, tout est sous contrôle » (selon l’expression de Muasher pour décrire cette illusion dominante). Puisque les dictateurs nous soutiennent, leurs sujets peuvent être ignorés – sauf lorsqu’ils brisent leurs chaînes. Dans ce cas, il faut procéder à un ajustement de politique.

D’autres documents semblent confirmer l’enthousiasme qui s’exprime autour de la noblesse supposée de Washington. En juillet 2009, Hugo Llorens, l’ambassadeur US au Honduras, a informé Washington d’une enquête de l’ambassade sur « les enjeux juridiques et constitutionnels autour du renversement le 28 juin du Président Manuel « Mel » Zelaya. »

L’ambassade a conclu qu’ « il ne fait aucun doute que l’armée, la Cour Suprême et le Congrès ont conspiré le 28 juin dans ce qui constitue un coup d’état illégal et anticonstitutionnel contre la branche exécutive du pouvoir ». Très admirable, sauf que le Président Obama a rompu avec pratiquement toute l’Amérique latine et l’Europe en soutenant le régime issu du coup d’état et en ignorant les atrocités qui ont suivi.

La révélation la plus remarquable de Wikileaks est peut-être celle qui concerne le Pakistan et qui a été examinée par l’analyste Fred Branfman dans Truthdig.

Les câbles révèlent que l’ambassade US était parfaitement consciente que la guerre US en Afghanistan et au Pakistan non seulement renforçait l’antiaméricanisme ambiant mais aussi « le risque d’une déstabilisation de l’état pakistanais » et celui du cauchemar absolu : que les armes nucléaires tombent entre les mains de terroristes islamistes.

Encore une fois, ces révélations « devraient rassurer l’opinion publique américaine que les dirigeants (US) sont effectivement conscients et qu’ils agissent » (selon Heilbrunn). Pendant ce temps, Washington avance à pas décidés vers un désastre.

Noam Chomsky

samedi 5 février 2011

Sur le Réseau Voltaire: CIA : F.G. Wisner est arrivé au Caire


Alors que la révolte s’amplifie en Egypte, le Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis a considéré que le travail de l’ambassadrice au Caire, Margaret Scobey, était insuffisant.

Mme Scobey est une diplomate de carrière qui a joué un rôle important au Proche-Orient, mais n’est pas rompue aux opérations secrètes. Ne préjugeant pas de ce qui va suivre, elle se dépense sans compter depuis plusieurs jours pour rencontrer le maximum de protagonistes et nouer des contacts dans tous les camps à la fois.

Le Conseil de sécurité nationale ne considère pas comme suffisant de préserver les intérêts des Etats-Unis, mais comme indispensable de préserver la paix séparée égypto-israélienne, ce qui implique de choisir les prochains dirigeants du pays. Il a donc fait appel à un ancien ambassadeur en Egypte (1986-91), aujourd’hui à la retraite, Frank G. Wisner, et l’a envoyé d’urgence au Caire où il est arrivé lundi 31 janvier 2011 au soir.

M. Wisner est le fils de Frank Wisner Sr., co-fondateur de la CIA et du Gladio. Il fut, aux côtés d’Alan Dulles, l’un des pères de la doctrine d’intervention secrète des Etats-Unis : soutenir les démocraties qui font le « bon choix », contrecarrer les peuples qui font le mauvais.

Frank G. Wisner Jr. a lui-même toujours travaillé pour l’Agence et y travaille encore, notamment via Refugees International dont il est administrateur.

L’ambassadeur Wisner, qui un ami personnel du président Hosni Moubarak, est chargé d’organiser sa destitution en douceur. Son arrivée a été juste précédée d’un appel téléphonique du chef d’état-major interarmes, l’amiral Mike Müllen, à son homologue égyptien, le général Sami Enan —l’armée égyptienne est équipée et formée par le Pentagone—. Officiellement, Müllen l’a félicité pour sa retenue ; un message parfaitement reçu au Caire et suivi quelques minutes plus tard d’un communique de l’état-major annonçant que l’armée considére les manifestations comme légitimes.

Le public états-unien connaît Frank G. Wisner non comme un diplomate, ni comme un maître-espion, mais comme un financier sans scrupules. Il était en effet responsable d’une des filiales d’Enron, le géant du trading en énergie dont la faillite frauduleuse a ruiné nombre de petits épargnants. Il était aussi administrateur de l’assureur American International Group (AIG) lors de la crise financière de 2008 qui vit l’action de la société chuter de 95 % avant son sauvetage par les deniers publics.

Inconnu des Français, Frank G. Wisner a pourtant joué un grand rôle dans ce pays. Il a épousé Christine de Ganay (seconde épouse de Pal Sarkozy) et, à ce titre, a élevé Nicolas Sarkozy dans sa période new-yorkaise. C’est lui qui a introduit l’adolescent dans les cercles de la CIA et qui lui a ouvert les portes de la politique française. C’est un de ses enfants, qui fut le porte-parole de la campagne présidentielle de Sarkozy pour les médias anglo-saxons, tandis qu’un autre de ses enfants est devenu un des piliers du Carlyle Group, le fond de placement des Bush et des Ben Laden.
Par ailleurs, c’est encore Frank G. Wisner qui a imposé son ami Bernard Kouchner comme ministre français des Affaires étrangères avec pour mission de mobiliser les Etats européens en faveur de l’indépendance du Kosovo.

vendredi 4 février 2011

Aujourd’hui sur le Réseau Voltaire: Moubarak pantin des USA

Egypte : une armée formée et équipée par le Pentagone
par Manlio Dinucci*

La mise en image de la situation actuelle en Egypte par les médias atlantistes assimile l’insurrection populaire à une guerre civile et érige l’armée en arbitre. C’est évidemment faux. Le régime du président Hosni Moubarak et son armée sont les produits de la politique des Etats-Unis dans la région et de leur soutien inconditionnel à Israël.



4 FÉVRIER 2011
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La tribune des officiers supérieurs lors des exercices Bright Star 05/06 à Moubarak Military City. L’armée égyptienne est formée et équipée par les Etats-Unis pour mettre en oeuvre la paix séparée israélo-égyptienne.

L’image des chars d’assaut qui surveillent les centres névralgiques du Caire, entourés par la marée de manifestants, est emblématique. Ce sont des M1A1 Abrams, les terribles tanks états-uniens de dernière génération, qui sont fabriqués en Egypte sur la base d’un accord de coproduction. Ils symbolisent à quel point les Etats-Unis se sont engagés dans la construction des forces armées égyptiennes et l’ampleur de la confiance qu’ils ont accordée au régime de Moubarak. En trente ans, Washington lui a fourni des aides militaires pour une valeur d’environ 60 milliards de dollars, selon les chiffres officiels, à quoi se sont ajoutés d’autres financements secrets.

Actuellement le régime de Moubarak reçoit des USA environ 2 milliards de dollars annuels, se plaçant ainsi parmi les principaux bénéficiaires après Israël. La majeure partie de cette somme est dépensée dans l’achat d’armes états-uniennes. Comme leur valeur dépasse la disponibilité financière du gouvernement égyptien, celui-ci a accumulé une dette envers les Etats-Unis. Mais Washington a été généreux : en 1990, pour récompenser l’Egypte de sa participation à l’imminente guerre contre l’Irak, il lui a accordé une remise de dette militaire de 7 milliards de dollars. Dix ans après, il lui a concédé un crédit extraordinaire de 3,2 milliards de dollars pour la modernisation des forces armées : celles-ci ont ainsi pu acquérir 24 chasseurs-bombardiers F-16 de dernière génération, 3 batteries de missiles Patriot et d’autres systèmes d’armes avancés. Le Pentagone a en outre fourni aux forces armées égyptiennes des armes qu’il a en excédent, ou qui sont remplacées par d’autres de nouvelle génération, pour une valeur annuelle de centaines de millions de dollars. En même temps il a entraîné des officiers et des soldats égyptiens, surtout des forces spéciales, en organisant tous les deux ans l’opération Bright Star, une grande manœuvre qui se déroule en Egypte avec la participation d’environ 25 000 militaires états-uniens.

De façon significative, dans les commandements établis par le Pentagone à l’échelle mondiale, l’Egypte de Moubarak n’entre pas dans le Commandement Afrique (AfriCom), mais a été détaché du continent pour être annexé au Commandement Central (CentCom), dont l’aire de responsabilité couvre le Proche-Orient pétrolier. L’Egypte, explique le CentCom, « joue un rôle clé dans l’exercice d’une influence stabilisatrice au Proche-Orient », en particulier pour « faire face à l’instabilité croissante de Gaza ». Le CentCom continue donc à opérer en contact étroit avec les forces égyptiennes pour « bloquer les envois illicites d’armes aux extrémistes à Gaza, et pour empêcher que l’instabilité de Gaza ne se propage en Egypte et au-delà ». Le gouvernement égyptien, de fait, doit « faire face à une menace extrémiste interne ». L’aide extérieure états-unienne est donc « fondamentale pour renforcer le gouvernement égyptien ».

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L’US Army a formé les militaires égyptiens aux combats de rue (ici lors des exercices à Mubarak Military City). Le soutien stratégique de l’Egypte à Israël interdit toute forme de démocratie dans un pays où la population est majoritairement opposée au projet sioniste. Il exige l’organisation par les Etats-Unis d’une dictature militaire.

Dans ce tableau, le thème de la dernière manœuvreBright Star est significatif : « Des opérations militaires en terrain urbain ». Dans la manœuvre, conduite en octobre 2009 sous la direction du Pentagone et avec la participation de forces spéciales états-uniennes, des forces égyptiennes ont été entraînées à combattre une guerre non pas dans le désert mais à l’intérieur d’une grande métropole. La Bright Star s’est déroulée dans la Moubarak Military City, le camp militaire construit exprès pour cette manœuvre, à quoi on a donné évidemment le nom du dictateur.

Tout est prévu, donc, pour affronter la « menace extrémiste intérieure ». Sauf le fait que celle-ci a pris les dimensions d’une insurrection populaire. Sauf le fait qu’on ne sait pas comment vont se comporter ces militaires, en grande partie conscrits, qui à bord des chars d’assaut états-uniens made in Egypt, devraient assurer que l’Egypte, une fois Moubarak déchu, reste dans la sphère d’influence états-unienne.

jeudi 3 février 2011

31 janvier 2011 – Thierry Meyssan écrivait ceci sur l’Égypte

L’Egypte au bord du sang
par Thierry Meyssan*  du Réseau Voltaire

Les grands médias se passionnent pour les manifestations en Egypte et prédisent l’avènement de la démocratie à l’occidentale dans tout le Proche-Orient. Thierry Meyssan s’inscrit en faux contre cette interprétation. Selon lui, des forces contradictoires sont en mouvement et leur résultante est dirigée contre l’ordre états-unien dans la région.

 

Depuis une semaine les médias occidentaux se font l’écho des manifestations et de la répression qui agitent les grandes villes égyptiennes. Ils établissent un parallèle avec celles qui ont conduit au renversement de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et évoquent un vent de révolte dans le monde arabe. Toujours selon eux, ce mouvement pourrait s’étendre à la Libye et à la Syrie. Il devrait profiter aux démocrates laïques et non pas aux islamistes, poursuivent-ils, car l’influence des religieux a été surestimée par l’administration Bush et le « régime des mollah » en Iran est un repoussoir. Ainsi s’accomplira le vœux de Barack Obama à l’université du Caire : la démocratie règnera sur le Proche-Orient.

Cette analyse est fausse en tous points.

- D’abord premièrement, les manifestations ont commencé en Egypte depuis plusieurs mois. Les médias occidentaux n’y faisaient pas attention parce qu’ils pensaient qu’elles ne déboucheraient sur rien. Les Egyptiens n’ont pas été contaminés par les Tunisiens, mais ce sont les Tunisiens qui ont ouvert les yeux des Occidentaux sur ce qui se passe dans cette région.

- Deuxièmement, les Tunisiens se sont révoltés contre un gouvernement et une administration corrompus qui ont mis progressivement toute la société en coupe réglée privant de tout espoir des classes sociales toujours plus nombreuses. La révolte égyptienne n’est pas dirigée contre ce mode d’exploitation, mais contre un gouvernement et une administration qui sont tellement occupés à servir des intérêts étrangers qu’ils n’ont plus l’énergie pour répondre aux besoins basiques de leur population. Au cours des dernières années l’Egypte a connu de nombreuses émeutes, soit contre la collaboration avec le sionisme, soit provoquées par la faim. Ces deux sujets sont intimement liés. Les manifestants évoquent pêle-mêle les accords de Camp David, le blocus de Gaza, les droits de l’Egypte dans les eaux du Nil, la partition du Soudan, la crise du logement, le chômage, l’injustice et la pauvreté.

En outre, la Tunisie était administrée par un régime policier, tandis que l’Egypte l’est par un régime militaire. Je dis ici « administré » —et non pas « gouverné »— car dans les deux cas, il s’agit d’Etats sous tutelle post-coloniale, privés de politique étrangère et de défense indépendante.
Il s’ensuit qu’en Tunisie, l’armée a pu s’interposer entre le Peuple et la police du dictateur, alors qu’en Egypte, le problème se réglera au fusil automatique entre militaires.

- Troisièmement, si ce qui se passe en Tunisie et en Egypte est un encouragement pour tous les peuples opprimés, ces derniers ne sont pas ceux que les médias occidentaux imaginent. Pour les journalistes, les méchants ce sont les gouvernements qui contestent —ou font semblant de contester— la politique occidentale. Tandis que pour les peuples, les tyrans sont ceux qui à la fois les exploitent et les humilient. C’est pourquoi, je ne pense pas que nous allons assister aux mêmes révoltes à Damas. Le gouvernement de Bachar el-Assad est la fierté des Syriens : il s’est rangé du côté de la Résistance et a su préserver ses intérêts nationaux sans jamais céder aux pressions. Surtout, il a su protéger le pays du sort que lui réservait Washington : soit le chaos à l’irakienne, soit le despotisme religieux à la saoudienne. Certes, il est très contesté dans plusieurs aspects de sa gestion, mais il développe une bourgeoisie et les processus de décision démocratique qui vont avec. En revanche, pour ce qui est du monde arabe, des Etats comme la Jordanie et le Yémen sont instables, et la contagion peut aussi atteindre l’Afrique noire, le Sénégal par exemple.

- Quatrièmement, les médias occidentaux découvrent tardivement que le danger islamiste est un épouvantail à moineaux. Encore faut-il admettre qu’il a été activé par les Etats-Unis de Clinton et la France de Mitterrand dans les années 90 en Algérie, puis a été gonflé par l’administration Bush consécutivement aux attentats du 11-Septembre, et alimenté par les gouvernements néo-conservateurs européens de Blair, Merkel et Sarkozy.
Il faut aussi admettre qu’il n’y a rien de commun entre le wahhabisme à la saoudienne et la Révolution islamique de Rouhollah Khomeiny. Les qualifier tous deux d’« islamistes », ce n’est pas simplement absurde, c’est s’interdire de comprendre ce qui passe.
Les Seoud ont financé, en accord avec les Etats-Unis, des groupes musulmans sectaires prônant un retour à l’image qu’ils se font de la société du VIIe siècle, au temps du prophète Mahomet. Ils n’ont pas plus d’impact dans le monde arabe que les Amish aux Etats-Unis, avec leurs carrioles à cheval.
La Révolution de Khomeiny ne vise pas à instaurer une société religieuse parfaite, mais à renverser le système de domination mondiale. Elle affirme que l’action politique est un moyen pour l’homme de se sacrifier et de se transcender, et par conséquent que l’on peut trouver dans l’islam l’énergie nécessaire au changement.

Les peuples du Proche-Orient ne veulent pas remplacer les dictatures policières ou militaires qui les écrasent par des dictatures religieuses. Il n’y a pas de danger islamiste. Simultanément, l’idéal révolutionnaire islamique qui a déjà produit le Hezbollah dans la communauté chiite libanaise, influence désormais le Hamas dans la communauté sunnite palestinienne. Il peut tout à fait jouer un rôle dans les mouvements en cours, et il en joue déjà un en Egypte.

- Cinquièmement, n’en déplaise à certains observateurs, même si nous assistons à un retour de la question sociale, ce mouvement ne peut être réduit à une simple lutte des classes. Bien sûr, les classes dominantes craignent les révolutions populaires, mais les choses sont plus compliquées. Ainsi, sans surprise, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a téléphoné au président Obama pour lui demander de stopper ce désordre en Egypte et de protéger les gouvernements en place dans la région, le sien en priorité. Mais ce même roi Abdallah vient de favoriser un changement de régime au Liban par la voie démocratique. Il a abandonné le milliardaire libano-saoudien Saad Hariri et a aidé la coalition du 8-Mars, Hezbollah compris, à lui substituer comme Premier ministre un autre milliardaire libano-saoudien Najib Mikati. Hariri avait été élu par des députés représentant 45 % de l’électorat, tandis que Mikati vient d’être élu par des parlementaires représentant 70 % de l’électorat. Hariri était inféodé à Paris et Washington, Mikati annonce une politique de soutien à la Résistance nationale. La question de la lutte contre le projet sioniste est actuellement surdéterminante par rapport aux intérêts de classe. En outre, plus que la répartition des richesses, les manifestants mettent en cause le système capitaliste pseudo-libéral imposé par les sionistes.

- Sixièmement, si nous revenons au cas égyptien, les médias occidentaux se sont rués autour de Mohamed ElBaradei qu’ils ont désigné comme leader de l’opposition. C’est risible. M. ElBaradei est une personnalité agréablement connue en Europe, car il a résisté quelque temps à l’administration Bush, sans s’y opposer complètement. Il incarne donc la bonne conscience européenne face à l’Irak, qui était opposé à la guerre et a fini par soutenir l’occupation. Cependant, objectivement, M. ElBaradei c’est l’eau tiède qui a reçu le Prix Nobel de la Paix pour que Hans Blix ne l’ait pas. C’est surtout une personnalité sans aucun écho dans son propre pays. Il n’existe politiquement que parce que les Frères musulmans en ont fait leur porte-parole dans les médias occidentaux.
Les Etats-Unis ont fabriqué des opposants plus représentatifs, comme Ayman Nour, que l’on ne tardera pas à sortir du chapeau, même si ses positions en faveur du pseudo-libéralisme économique le disqualifient au regard de la crise sociale que traverse le pays.
Quoiqu’il en soit, dans la réalité, il n’existe que deux organisations de masse, implantées dans la population, qui s’opposent de longue date à la politique actuelle : les Frères musulmans d’une part et l’Eglise chrétienne copte d’autre part (même si S. B. Chenoudda III distingue la politique sioniste de Moubarak qu’il combat, du rais avec lequel il compose). Ce point a échappé aux médias occidentaux parce qu’ils ont fait récemment croire au public que les Coptes étaient persécutés par les musulmans quant ils l’étaient par la dictature de Moubarak.

Une parenthèse est ici utile : Hosni Moubarak vient de nommer Omar Souleiman comme vice-président. C’est un geste clair qui vise à rendre plus difficile son éventuelle élimination physique par les Etats-Unis. Moubarak est devenu président parce qu’il avait été désigné vice-président et que les Etats-Unis ont fait assassiner le président Anouar el-Sadate par le groupe d’Ayman al-Zawahri. Il a donc toujours refusé jusqu’à présent de prendre un vice-président par crainte de se faire assassiner à son tour. En désignant le général Souleiman, il choisit un de ses complices avec qui il a trempé les mains dans le sang de Sadate. Désormais, pour prendre le pouvoir, il ne faudra pas seulement tuer le président, il faudra aussi exécuter son vice-président. Or, Omar Souleiman est le principal artisan de la collaboration avec Israël, Washington et Londres vont donc le protéger comme la prunelle de leurs yeux.

De plus, Souleiman peut s’appuyer sur Tsahal contre la Maison-Blanche. Il a d’ores et déjà fait venir des tireurs d’élite et du matériel israéliens qui sont prêts à tuer les meneurs dans la foule.

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Le général-président Hosni Moubarak et son général-vice-président Omar Souleiman sont apparus à la télévision avec leurs généraux-conseillers pour signifier que l’armée a et gardera le pouvoir.

- Septièmement, la situation actuelle dévoile les contradictions de l’administration US. Barack Obama a tendu la main aux musulmans et appelé à la démocratie lors de son discours à l’université du Caire. Toutefois aujourd’hui, il mettra tout en oeuvre pour empêcher des élections démocratiques en Egypte. S’il peut s’accommoder d’un gouvernement légitime en Tunisie, il ne le peut pas en Egypte. Des élections profiteraient aux Frères musulmans et aux Coptes. Elles désigneraient un gouvernement qui ouvrirait la frontière de Gaza et libérerait le million de personnes qui y sont enfermées. Les Palestiniens, soutenus par leurs voisins, le Liban, la Syrie et l’Egypte, renverseraient alors le joug sioniste.
Ici, il faut signaler qu’au cours des deux dernières années, des stratèges israéliens ont envisagé un coup tordu. Considérant que l’Egypte est une bombe sociale, que la révolution y est inévitable et imminente, ils ont envisagé de favoriser un coup d’Etat militaire au profit d’un officier ambitieux et incompétent. Ce dernier aurait alors lancé une guerre contre Israël et échoué. Tel-Aviv aurait ainsi pu retrouver son prestige militaire et récupérer le mont Sinaï et ses richesses naturelles. On sait que Washington est résolument opposé à ce scénario, trop difficile à maîtriser.

En définitive, l’Empire anglo-saxon reste arrimé aux principes qu’il a fixé en 1945 : il est favorable aux démocraties qui font « le bon choix » (celui de la servilité), il est est opposé aux peuples qui font « le mauvais » (celui de l’indépendance).
Par conséquent, s’ils le jugent nécessaire, Washington et Londres soutiendront sans état d’âme un bain de sang en Egypte, pourvu que le militaire qui l’emporte sur les autres s’engage à pérenniser le statu quo international.

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Thierry Meyssan

Analyste politique français, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Il publie chaque semaine des chroniques de politique étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier ouvrage publié : L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).

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On est rendu le 3 février. Ne trouvez vous pas qu’il avait raison???